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“ Steam Light ” un travail de TSAI Chia-Wen

 

Laurent PADEL

professeur du département philosophie, UFR Arts, philosophie, esthétique

 Université Paris 8, France

Tsai Chia-Wen réalise des installations, des vidéos et des photos particulièrement fortes, scénographiées avec précision, élaborées avec des techniques efficaces tout en demeurant dans la clarté et la simplicité. Tsai interroge dans de nombreuses propositions les sens de l’observation ou de la perception visuelle, sonore ou tactile, les conceptions du vide ou de l’eau. Steam Light, œuvre récente majeure, est une proposition actualisée et originale pour rendre compte de la conception spécifiquement chinoise de l’image, xiang 象. Celle-ci se constitue d’un facteur interne  structurant et stable de structures sous-jacentes, li 理 et d’un facteur circulant et énergisant, le souffle-énergie, qi 氣 (caractère formé étymologiquement de la vapeur s’élevant lors de la cuisson du riz). Dès lors, l’image fait apparaître le dynamisme de la forme vers le sans-forme, métamorphose continue qui est à la fois spatiale et temporelle. Ces dimensions avaient été les facteurs majeurs de la peinture de paysage, shanshui 山水 monts-et-eaux, là les cimes ne s’érigent que dans un mouvement des nuées de nuages qui les mettent en forme tout en les maintenant dans l’incertitude. Cette dualité de l’image où toute forme est la propension d’elle-même peut être considérée comme la quintessence de l’apogée des arts picturaux chinois. Ceux-ci sont réinterprétés ici avec brio dans un rare syncrétisme entre l’Occident et l’Orient qui interroge à la fois notre conception de l’image et l’universalisme de l’identité chinoise. Cet œuvre nous offre un regard lucide sur une modernisation inédite de la tradition orientale par un renouvellement fondé à la fois sur le regard et sur la technique.

Les images projetées sur de la vapeur sont figuratives pour certaines, abstraites pour d’autres. Les premières présentent des sinogrammes, sheng 生 la vie, zhu 住 habiter, miè 滅 la destruction. Les images figuratives représentent l’alternance de la vie et de la mort et la transformation perpétuelle des formes. Ainsi, alternent photographies d’une personne disparue et d’un nourrisson qui vient de naitre. Les images abstraites ont été composée par l’artiste et rendent compte dans un chatoiement coloré de la diversité lumineuse du monde. La vapeur est produite par un rice-cooker, il symbolise lui-même à la fois la cuisine, le foyer et l’énergie invisible à l’œuvre dans le monde. Un dispositif de cache et d’angle de vision savamment étudié fait que dans le dispositif de vidéoprojection, seule la lumière qui éclaire les fines gouttelettes d’eau crée une image. Les images qui apparaissent dès lors sur cette vapeur sont proprement irréelles, comme surgissant de nulle part. La vapeur se change en feu et les images flamboient.

Ce que Steam Light nous apprend également c’est que l’image ne propose pas seulement une expression qui se joue entre le spectateur et l’objet dans une conception qui se limiterait être un rapport mimétique et ontologique mais que la richesse de l’image peut aussi s’ouvrir dans la virtualité d’une image basée également sur l’énergie et le devenir. Et c’est cette énergie du devenir, cette presence/absence qui se joue dans le virtuel. Entre rêves et réalité, elle est aussi celle de la mémoire et des souvenirs. Le plus émouvant, c’est quand on apprend que Steam Light est proprement le fruit d’une perte, d’un deuil. La proposition de Steam Light se fait dans le visuel mais aussi le son avec les notes envoûtante d’un Ave Maria interprété par la soprano Crespin et l’odorat avec un léger parfum d’encens qui se perd dans les volutes de la vapeur. Cette musique et ce parfum sont religieux, mélange d’Orient et d’Occident. Ce deuil, cette mémoire est là conçue comme la lumière du proche récemment disparu au cœur des souvenirs de l’artiste. Cette lumière se projette dans l’espace incertain de la vapeur, Steam Light. Ainsi, cette œuvre nous offre aussi un travail particulièrement poignant sur l’humain. Attachante, troublante cette pensée même si elle est celle du deuil n’en est pas moins un hymne à la vie.

"Jing/Jing" et "Fluid" de Tsai Chia-Wen

 

Henri-François Debailleux

critique d'art

Pourquoi ferait-elle compliqué, alors qu’elle sait si bien faire simple ? Dans l’œuvre qu’elle présentait lors de la manifestation Mulhouse 004, Tsai Chia-Wen avait déjà pris le parti d’un minimum de moyens pour un maximum d’effets. Intitulée Jing/Jing, son installation prenait la forme d’un bassin rempli de trois centimètres d’eau et d’un vidéo projecteur. De temps à autre, Tsai Chia-Wen marchait dans le bassin et le reste du temps une goutte d’eau y tombait à intervalles réguliers. Dans les deux cas, des ondes se formaient que le vidéo projecteur reflétait, en lumière bleue, sur un mur opposé.

 

C’est sur ce même principe, mais à une échelle plus grande, que Tsai Chia-Wen a conçu Fluid. Elle a cette fois investi toute la salle du petit bassin de la piscine de Mulhouse, autour duquel elle a disposé trois vidéo projecteurs qui diffusent sur la surface de l’eau la même image, celle d’un lent défilé de couleurs qui couvrent tout le spectre. De par l’angle d’inclinaison des faisceaux, ces pans et plans de lumière prennent la forme géométrique de trois trapèzes superposés. Animée par des pulseurs, la surface se ride et propage sur les murs alentour l’ombre portée des vaguelettes ainsi créées.

 

Dans ces deux œuvres, Tsai Chia-Wen montre surtout comment des moyens élémentaires peuvent générer une grande complexité. Comment la rencontre de deux géométries, l’une euclidienne et l’autre fractale, peut transformer de façon cyclique l’ordre en chaos. Comment des figures rationnelles et solides, rectangle ou trapèze, dès lors qu’un élément infime vient les perturber, peuvent exploser et se métamorphoser en mouvements liquides qui prolifèrent et s’entrecroisent pour dessiner des trames, des réseaux, des flux. Comment, selon le principe de l’effet papillon, une goutte d’eau ou une ridule mises en miroir peut donner vie à une infinité de formes. Toute la démarche de Tsai Chia-Wen est là, dans cette volonté de montrer les passages de l’aplat au plissé, de l’unité au multiple, du défini à l’infini, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, du stable à l’instable et de révéler les états éphémères d’une même chose. En somme de tout ce qui relève du vivant. 

 

“Jing/Jing” An Installation by Chia-Wen Tsai

 

Don FRESTA

artist and theoretician in art

 

Art for much of the 20th has expanded well beyond the traditional materials of art, paint, stone, metal, sound, words and movement.  Many artists have appropriated the essential elements of the earth as matter to be moulded and in so doing started to expose aspects of our environment never before seen, understood or incorporated into our way of knowing.


In the case of Chia Wen and her installation Jing-Jing her material of choice is water, as it is in many of her works.  I was present when the piece was shown in the summer of 2004 on Ayers Island in Maine in the US.  At one moment I shared the space with another spectator watching me dip into the water creating even more complex wave patterns on the wall.  He turned to me and said, “I will never look at water the same way again.”  What more could an artist hope to accomplish?

 

Not only does the work make us look at water in a different way, but it reveals a part of our everyday environment in ways that questions how we understand the way nature works. Her installation plays on the notion of landscape through the projection of the water surface on the adjoining wall, but it is an exceptional kind of landscape where nature meets the mind.  The work exposes an internal structure that exists in a natural setting, but which is almost invisible to us under “normal” circumstances.  Chia-Wen makes us look deeper.  What we are seeing is real but the patterns before us represent a different reality and force us into a more profound understanding of a very common phenomenon, slightly turbulent water.

 

The piece deals with a very different kind of structure underlying reality and a different geometry representing a complexity that is there but not apparent to us for many reasons. By creating a ripple effect in a shallow pool of water and reflecting light off it obliquely, she reveals the complex wave interference patterns created by the movement which we normally don’t see, understand or bother to decipher. We are forced to look at the water in a new way to understand what we have before us. She does in fact make the invisible, visible. 

 

Jing/Jing is a wonderfully aesthetic representation of complexity and a visualization of the fractal geometry invented by Benoit Mandelbrot. This geometry of complex systems is now considered to represent many natural phenomena and, as a better, more exact analysis of nature, the new foundation of many scientific phenomena. By interpreting in her manner the intricate patterns existing in nature Chia-Wen has added the artistic determinant to the discoveries of science; educating our perception and leading us to inhabit the new imaginary space proposed by science.  Science invents new spaces and artists make them habitable.

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